Victor Auburtin et le péché...
Lucas Cranach
Descendant d’une famille d’émigrants français, protestants partis en Allemagne après la révocation de l’Edit de Nantes, Victor Auburtin est né à Berlin en 1870 et mort à Garmisch-Partenkirchen en 1928. Journaliste, il fut le correspondant à Paris du Berliner Tageblatt, de 1911 à 1914. Il a longtemps écrit des rubriques humoristiques ou satiriques (que les Allemands appelaient Feuilletons) dans le même journal.
En lisant celle que je vous propose ici, n’oubliez pas qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe il n’était pas forcément politiquement incorrect de rendre les femmes responsables de bien des malheurs. Une certaine façon de lire la Genèse, je suppose...
Bon, d’accord! Avec Auburtin qui m'amuse, je me fais un peu provocateur aujourd’hui...
Péché originel
Par une fenêtre qui donne sur la cour de mon immeuble, deux jeunes gens se penchent, un jeune homme et une jeune femme.
Ils se racontent des histoires drôles, rient et se poussent des hanches. Ensuite ils s’amusent un moment à cracher dans la cour, simultanément, et à vérifier lequel de leurs crachats arrive le premier par terre.
A tout cela, on reconnaît que ces jeunes personnes s’aiment. Car, chez l’espèce humaine, l’amour est fou. Cela s’est vérifié déjà à l’occasion de la toute première scène d’amour de l’Histoire du monde, lorsqu’Adam et Eve, avec leur pomme, se sont montrés aussi niais qu’il était seulement possible.
En bas, dans la cour, deux chats se sont assis face à face. L’un est le matou du concierge, l’autre la chatte du maître-boulanger et tout l’immeuble est au courant que ces deux-là vivent une liaison amoureuse.
Et voyez donc comme les animaux savent se bien conduire dans de telles circonstances. Leur amour consiste à s’asseoir face à face pendant deux heures et à se regarder fixement, dans le blanc des yeux.
Mais voilà qu’arrive dans la cour l’homme à l’orgue de barbarie. Il installe sa boîte, commence à en tourner la manivelle et joue l’air du Troubadour, Déjà voici que s’approche l’heure de la mort.
A peine les deux jeunes, là-haut, ont-ils perçu les premières notes qu’ils se redressent, ferment leur fenêtre et en tirent les rideaux.
La chatte aussi semble ressentir, à entendre la musique, une certaine excitation des sens. Elle se lève, s’étire et avance lentement vers le matou. Mais celui-là lui retourne illico un coup de patte et la chatte s’en revient tranquillement à sa place.
C’est bien dommage, vraiment, qu’Adam n’ait pas été un matou. Dommage qu’il n’en ait pas retourné une à Eve. Aujourd’hui encore nous serions toujours établis au paradis... et tout aurait été bien différent.
Traduction d’Antoine Mack