Le miracle Saint Eutrope
Excusez-moi, Prince, si je
Suis foutrement moyenâgeux.
(Georges Brassens)
N’a guère, à la nuit tombante et même à d’autres heures, ma mie me faisait très-douces remontrances (1) et caresses très-agréables. Ne me restait point de temps alors pour conter des sornettes.
Mais, le temps passant, s’éteignent les plus-folles ardeurs... Elle ne m’en fait plus tout autant et me vois ci en un âge où tout loisir m’est offert, à la vesprée, de vous narrer d’édifiantes histoires, comme celle du miracle Saint Eutrope.
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Un archer écossais était venu louer ses services à Monseigneur notre évêque, en la bonne et très-catholique ville de S. Certes les archers anglais avaient réputation bien assise d’être plus habiles, mais onc ne venaient jusques aux marches de l’est. L’Ecossais fut donc embauché et donna toute satisfaction, et par son adresse au tir, et par sa conduite.
On l’avait logé chez une vieille femme qui lui faisait à manger le soir. Comme l’archer n’était point difficile à satisfaire, il ne se plaignait certes pas de la chère simple qu’elle lui servait. Un matin cependant, il se réveilla en ressentant de fortes douleurs au ventre qu’il avait soudain ballonné et très-dur. Comme il demandait conseil à son hôtesse, elle lui tint qu’en la cathédrale se dressait sur un pilier une figure de Monsieur saint Eutrope, évêque de Saintes et martyr, qui avait bonne renommée pour guérir ces maux-là, pour peu qu’on lui fît prières et oraisons suffisantes.
L’Ecossais s’habille, prend son arc et ses flèches et, ne voulant point mettre en mépris le conseil de la femme, s’en va droit en la cathédrale. Il s’agenouille devant la statue désignée et, baissant la tête fort humblement, se met en prières telles qu’il semble à tous ceux qui l’entendent que le saint dût promptement venir à lui.
L’archer implore ainsi le martyr, longuement, les yeux fermés. Soudain, il entend: Tru, tru, tru, Eutropius! Il relève la tête et regarde la statue. Tru, tru, tru, Eutropius! dit encore la voix. Elle semble venir d’un étroit escalier qui grimpe de l’autre côté du pilier, juste derrière le saint. Cuidant que l’on se moque de lui, l’Ecossais prend son arc et décoche rasibus une flèche vers ce coin d’ombre. Puis reprend ses pieuses dévotions.
La flèche s’est plantée, étrange destinée, dans la fesse d’un moinillon qui était monté derrière la statue pour faire semblables demandes au bon saint, pensant qu’en s’élevant vers celui-ci il serait mieux entendu. Affolé par l’assaut inattendu et souffrant moult maux de sa blessure, le moinillon se précipite en-bas de l’escalier et s’enfuit, en criant des mots sans suite.
L’archer l’entend, croit percevoir du latin et, persuadé que le saint descend de son pilier pour se venger de son tir, prend la fuite à son tour.
Le moinillon s’encourant vers la porte de l’orient en se tenant les fesses, l’archer vers le midi et la grand-porte, courbé en avant et serrant son ventre, ils prennent tous les deux la poudre d’escampette.
Les fidèles qui assistent au spectacle en restent ébaubis. Puis se lancent dans des litanies de louanges à l’adresse de saint Eutrope qui, pour une seule prière, à même heure, en aurait guéri deux des maux de leur ventre! La nouvelle se répand hors les murs de la cathédrale, court par les rues incontinent et se propage dans la marche et ès-mettes (2), en moins de temps qu’il n’en faut pour dire trois Pater et cinq Ave...
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C’est ainsi que notre bonne ville, pour les gens qui se plaignent de leur ventre, est devenue grand et saint lieu de pèlerinage.
Quant à vous dire ce que sont devenus les deux miraculés, le moinillon et l’archer écossais, ne saurais point vous satisfaire. Oncques ne les revîmes.
(1) Démonstrations.
(2) Sur les frontières.
Antoine Mack