La porte de derrière
Terre faite d’un lœss fertile, le Kochersberg, au nord-ouest de Strasbourg, est un coin d’Alsace qui cultiva longtemps des produits riches – céréales, tabac, houblon. Aujourd’hui encore ces activités agricoles se poursuivent, mais beaucoup de lotissements ont accueilli d’anciens citadins et, du même coup, réduit les surfaces cultivables. Le bourg est devenu petite ville et la vie va... Pas forcément comme elle devrait.
Plutôt cossues, les fermes du Kochersberg étaient flanquées d’une grange énorme, d’une écurie, d’une étable, d’une porcherie, d’un clapier et d’un poulailler. Derrière la grange s’étendaient un jardin potager et un verger. Pour accéder à ces lieux verts, qui, avec la porcherie, le clapier et le poulailler, assuraient presque l’autarcie de chaque famille, un passage étroit longeait la grange et, souvent, la limite de propriété avec le voisin. Ce passage était fermé du côté du verger par ce que l’on appelait la porte de derrière.
Porte par laquelle peu d’étrangers à la maison passaient et qui, à bien y réfléchir, ne servait qu’à exiler les poules et le coq sous les arbres fruitiers en attendant le soir, moment où la volaille pouvait enfin regagner ses perchoirs.
Porte faite, la plupart du temps, de planches irrégulières, que l’on avait clouées ensemble, vaille que vaille. Après tout, ce n’est pas à l’arrière de la ferme que l’on mettait son aisance en vitrine et ce n’était pas la herse d’un pont-levis non plus.
Et pourtant... Cette porte prenait quelquefois, dans l’imaginaire villageois, une importance insoupçonnée. Elle était le point faible de l’enceinte. Elle était extérieure. Se pouvait-il qu’elle soit aussi bien protégée que le reste des bâtiments par le buis bénit le jour des Rameaux et glissé derrière le crucifix? N’est-ce pas elle qui risquait un jour de faciliter l’entrée du Malin?
Je me souviens. On racontait aux veillées que chez les Kuhn du bas de la rue, il avait fallu la changer, la porte de derrière, quelques années plus tôt...
Le père avait été retrouvé mort dans le passage, près de l’entrée du verger. Il n’avait pas eu le temps, ce matin-là, d’ouvrir la porte aux poules, lorsqu’il était tombé, terrassé. Mais c’est bien sur la face extérieure de cette porte que l’on avait trouvé la marque noire qu’avait laissée, à la hauteur du cœur d’un homme, une main de feu.
Antoine Mack