Au tennis de table, nous n’étions pas manchots, Olympio et moi. Les petits tournois que nous organisions dans la grande salle, à Pourtalès, se terminaient presque toujours par une finale entre nous deux.

Un jour de printemps, la conjonction de deux circonstances agréables, l’arrivée d’une troupe de stagiaires féminines au château et l’apparition d’un soleil précoce, nous a incités à sortir la table sur la terrasse pour une nouvelle opposition, en fin d’après-midi.

Les jeunes filles ont été invitées et quelques-unes sont venues. Dans le groupe des demoiselles, je vois bien qu’elles sont plus nombreuses à espérer la victoire du bel Olympio que la mienne. Il faut dire qu’il assure!

La partie doit se jouer en trois sets gagnants. J’ai sur lui l’avantage de jouer régulièrement en compétition et, comme les Européens de l’Est aux échecs, je domine la bande à Rocky au ping-pong. Sans beaucoup de mérite...

Juste avant de commencer, Olympio s’approche de moi et me souffle: «On fait un peu de spectacle pendant les deux premiers sets... si tu veux bien». Le discret clin d’œil qui accompagne cette proposition est explicite. Plutôt que gagner, ce dont il n’est pas sûr du tout, il veut séduire... et pas spécialement les copains!

Pour deux joueurs un peu adroits, il n’est pas sorcier de donner le change. Puisqu’il veut briller, je décide d’entrer dans son jeu et même de le surprendre en le laissant gagner les deux premiers sets. Je prends un risque en acceptant ce handicap. Nous allons rejouer le lièvre et la tortue...

OOOOO

Les deux premières manches se terminent donc sur un score serré certes, mais à l’avantage de mon adversaire. Chez certaines spectatrices de légers sourires fleurissent.

A partir du troisième set, me voilà obligé de gagner... et mon adversaire commence à croire en sa chance. Il va s’accrocher!

Attaques du coup droit en série, qui le repoussent loin de la table sur sa droite, puis contre-pied soudain grâce à un smash dirigé sur son revers... Nouvelles frappes violentes, répétées, suivies d’amorties assassines, juste derrière le filet, alors qu’il est à cinq ou six pas... Services vicieusement coupés dont les retours terminent leur course dans le filet. Troisième et quatrième sets pour moi.

OOOOO

Avant le dernier affrontement, nous reprenons notre souffle, assis sur la même marche de la terrasse, mais à sept ou huit mètres l’un de l’autre. Il est du côté où se sont installées les stagiaires. Près de moi, les types de la bande murmurent.

Curieuse conversation. Je les entends discuter et je relève des mots qu’ils ne prononcent pas d’habitude, ni les Blancs, ni les Noirs. Ma décision de satisfaire le désir de briller d’Olympio est interprétée par ses amis noirs, qui ne sont pas dupes, comme une volonté de l’humilier maintenant devant les filles. Ceux qui prennent mon parti, les Occidentaux surtout, et qui attendaient une victoire facile de ma part sont d’avis que je n’aurais jamais dû, de toute façon, lui donner la chance de se montrer à son avantage... Nous voilà bien!

Olympio, qui n’a rien entendu, se relève et donne le signal de la reprise. Le cinquième set sera plutôt décousu. Je continue de frapper, de frapper, mais j’entends toujours les commentaires. Par moments, je décide d’un coup - revers, amortie - et, au dernier moment, je choisis de faire autre chose. Qui échoue. Olympio prend ainsi trois, quatre points d’avance, que je rattrape en m’appliquant de nouveau. Puis je recommence les maladresses, déconcentré par la querelle stupide qui divise le groupe.

A 19-16 pour lui, je reviens enfin dans le match. A 20 partout, je me dis que j’ai fait l’essentiel et que je vais gagner. Le coup droit que je voyais décisif accroche la bande du filet et sort. Olympio sert pour la victoire, je retourne mollement et ne défends pas sur sa dernière attaque. 22-20. Olympio l’emporte!

Quand nous nous serrons la main, je sais qu’il apprécie sa réussite... et mon petit sourire en coin.

Après tout, on est comme_tout_le_monde.

Chacun sa victoire?

(A suivre)

Antoine Mack

Etrangers au château – 6. Olympio en finale

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