Photos Antoine Mack

Cet homme-là est connu ici comme le houblon. Ou le loup blanc, si vous préférez, mais ça fera moins local... Il pèse 4500 kilos et mesure 5,60 mètres. On pourrait dire de lui qu’il est représentatif de chaque Mulhousien et, paradoxalement, il est exilé dans un jardin botanique, à l’écart, entre trois haies vives. C’est le type qui transpire.

Une confrérie de défense du parler alsacien a emprunté son surnom. Mais cet honneur n’est pas ce qui fonde sa réputation.

Il symbolise, dit-on, le travail, appuyé sur le manche de sa pioche et s’essuyant le front. Mais ce geste ne contribue pas non plus à sa gloire.

On l’a peint sur des murs, en ville, vu de face. Il est présent aussi à l’entrée de la rue du Sauvage, la plus importante rue piétonne de la ville, où il a été recomposé en chutes de vieilles machines et d’outils mécaniques, et où il a obtenu le droit de s’asseoir. Pour enfin cacher ses fesses!

Car le type qui transpire est certainement, de tous les hommes de la terre, celui qui a le plus souvent entendu parler de son séant!

.

Il est arrivé en 1906. Né à Florence, entre les mains d’un sculpteur autrichien, il était prévu qu’il passerait toute sa vie en Suisse, à l’entrée du tunnel du Lochsberg. On le posa, devant ce tunnel, sur un socle. Mais les Helvètes des alentours protestèrent avec véhémence et exigèrent qu’on le mît au chômage. Qu’un travailleur suisse montre son postérieur aux touristes du monde entier qui viendraient emprunter leur tunnel était tout simplement inadmissible.

Le maire de Mulhouse, de son côté, rêvait d’une fontaine monumentale qui ornerait la place de l’Hôtel de Ville, fière bâtisse Renaissance rhénane. Il n’eut point de mal à convaincre les membres de son conseil municipal. Et l’on se porta acquéreur de la sculpture qui scandalisait quelques paysans suisses un peu arriérés...

C’est le jour de son inauguration que le type qui transpire fut baptisé Schweissdissi (le type qui sue) par quelques gamins effrontés. L’imposante statue, dont un étroit chiffon cachait les attributs virils, exhiba dès lors son beau fessier sur la grande place. Mais, même dans une ville industrielle et moderne comme Mulhouse, des critiques bientôt se firent entendre, des plaintes fusèrent. Quoi? Ce bonhomme tout nu montrait ses fesses aux pieuses âmes qui sortaient, le dimanche, du temple Saint-Etienne! Qu’on le tourne dans l’autre sens au moins et qu’il les place, ses fesses, sous les yeux du Maire et de ses adjoints, de l’autre côté, dans leur Hôtel de Ville!

Le Maire laissa dire, pensant que la grogne s’apaiserait si l’on laissait le temps en émousser la hargne. Espoir déçu. Il dut s’incliner. Et l’on envoya le type qui transpire au jardin botanique du Tivoli, dans sa prison de trois haies qui protégeait la vue des passants de l’objet du délit.

Trente ans plus tard, les adversaires du travailleur crurent en être débarrassés. Les Allemands réquisitionnaient les cloches et tous les objets en bronze pour en faire des canons. Le type qui transpire faisait partie du lot... Mais son bronze se révéla de si mauvaise qualité que les Allemands le rendirent. Cette fois, on l’égara dans un chantier de stockage de la ville.

Jusqu’en 1950, année pendant laquelle une nouvelle municipalité prit le risque de le replacer au Tivoli. Après tout, il faisait partie du paysage depuis si longtemps... et du moment qu’il gardait son derrière à l’abri des regards...

Vint ensuite le printemps 1990. On ne sait trop pour quelle mystérieuse raison, le type qui transpire fut invité à revenir pendant quelques semaines sur la place de la Réunion. Peut-être voulait-on en faire définitivement la mascotte de Mulhouse. Entre les fidèles du temple et les mécréants de l’Hôtel de Ville, il fallait éviter toute jalousie cependant. C’est pourquoi on le hissa sur un piédestal tournant! Ainsi tout le monde pourrait contempler ses attributs callipyges sans avoir l’air de s’y intéresser.

Puis l’homme repartit entre les pans verts de son paravent naturel. L’autre dimanche, j’ai bien essayé. Les haies sont si proches et si drues que je n’ai pas réussi à faire, du pauvre travailleur qui n’a rien à se mettre sur les fesses, la photo que vous attendiez!

Antoine Mack

Le type qui transpire (D’r Schweissdissi)

Partager cet article