Il n’y a plus de larmes...
Le cri d’acier... Nouveaux poèmes du temps de la guerre. Celle de 1914-1918. Poèmes introduits par ces mots, en couverture: Les heures passent. Les blessures demeurent.
Alfons Petzold, auteur autrichien, correspondant de Stefan Zweig, influencé par Heinrich Heine, n’a certainement pas connu une vie heureuse. Ses œuvres s’en ressentent. Et plus particulièrement ces poèmes qui décrivent avec amertume les horreurs métalliques de la guerre.
Il est né en 1882 à Vienne, fils d’un ouvrier, affligé très tôt par une mauvaise maladie pulmonaire. Il dut cependant travailler dès quinze ans, dans des métiers éprouvants. Apprenti affréteur tout d’abord, puis ouvrier du bâtiment avant de se retrouver en usine, coursier, garçon de café, laveur de vitres, etc.
Auteur de trois romans (Terre, en 1913, Le Chemin de Feu, en 1918 et Sevarinde, en 1923), de cinq recueils de poèmes, de récits, il a laissé aussi une autobiographie dont le titre souligne ses souffrances: La Vie âpre.
Alfons Petzold mourra à 41 ans, en 1923, à Kitzbühel, dans les montagnes du Tyrol.
Champ de bataille abandonné
Fumées épaisses et décombres. Sur le désert puant
Flotte un nuage indiciblement lumineux et clair.
Pas une âme n’a salué son approche incertaine,
Aucun objet n’est prêt à lui faire miroir.
Tout est éclaté, crevé; rigidité cadavérique à l’entour –
Soudain, devenu brasier pourpre, le nuage brille...
En bas, dans le sol gris, tisonné par les grenades,
Il se reflète dans une auge remplie de sang.
Femmes de soldats
Les pauvres, les pâles femmes de soldats
Regardent
Chaque jour, à l’heure du soir,
Quand le crépuscule suinte du pavé,
Si, du puits d’ombre de la rue,
Emerge une silhouette chère, en blouse de travail.
A deux ou trois, elles se tiennent devant un portail.
Une respiration lourde soulève leur sein,
Et penchant en avant leurs bustes abimés de chagrin,
Elles tendent l’oreille, elles guettent.
Quand passe alors un étranger,
Voilà que souffle
A travers leurs âmes un vent glacial.
Tandis que jaillit la lumière des lanternes,
Furtives, elles rentrent chez elles...
Dans leurs gorges,
Brûlants, inconsolables, sont tapis des pleurs.
Il n’y a plus de larmes
Il n’y a plus de larmes dans le monde,
Elles se sont toutes évaporées dans le feu de la douleur.
A travers le grincement cliquetant du métal meurtrier
Ne résonne plus que le cri de démentes tortures.
Où que vive maintenant une mère,
Plus jamais vers le ciel ne s’élève une chaude prière.
Où que se perdent maintenant les pensées d'une fiancée, d'une sœur,
Plus jamais ne s’entend le murmure qui console.
Maintenant, rigides, comme pétrifiées, elles regardent
Vers le ciel, pour voir s’il ne pleure pas leurs larmes.
De leurs gorges s’arrache un cri,
Elles crispent leurs doigts, elles serrent les dents,
De leurs cœurs ne montent que des flammes...
Il n’y a plus une larme.
Le rire
Un grand rire fou est suspendu au-dessus d'une violente bataille.
Quand la lune se lève, que son éclat tombe
Sur la terre qui saigne et qui crie,
Hommes et chevaux haletants dressent l’oreille
Vers un autre monde, là-bas.
Et ils croient contempler le visage de Dieu.
Mais il est blême et crispé.
Un rire glacial y est incrusté
Par les pleurs de cent-mille femmes.
Consolation
Ne t’afflige pas, non, ne t’afflige pas!
Un jour viendra la fin.
Bientôt tu sentiras les mains
De Dieu qui brise tout.
Traduction: Antoine Mack