Le temps s’écoule immuablement et rien n’est plus rapide que les années qui s’enfuient, dit Ovide.

Adonis, le fils que conçut Myrrha l’incestueuse, est devenu un jeune homme. Il est plus beau aujourd’hui qu’il n’a jamais été. Et le voilà qui enchante Vénus elle-même...

Adonis' Dream (Richard Franklin)

L’enfant au carquois, à qui on le comparaît lorsqu’il naquit, embrassait la déesse, sa mère. La pointe d’une flèche dépassait et blessa le sein de Vénus, bien plus profondément qu’elle ne pouvait le croire. Alors, séduite par la beauté d’Adonis, elle oublie les rivages de Cythère, ne visite plus l’île de Paphos, ni Cnide, ni Amathonte, où elle aimait à séjourner. Elle déserte même l’Olympe...

Car elle préfère Adonis. Elle s’attache à lui, elle le suit partout. Elle qui, d’habitude, recherchait les lieux ombragés pour s’adonner aux soins de sa propre beauté, erre maintenant à travers bois et montagnes, vêtue comme Diane d’une courte robe relevée au-dessus du genou. Elle chasse avec Adonis des lièvres prompts dans la fuite, des cerfs à haute ramure. Mais elle évite les loups ravisseurs, les ours griffus et les lions carnivores.

A l’homme aussi elle recommande d’éviter ces bêtes féroces, comme si aux audacieux il pouvait être utile de prodiguer pareils conseils de prudence!

Ta jeunesse, lui dit-elle, tes attraits qui ont ému Vénus ne toucheront ni les yeux, ni les cœurs de ces fauves. Ces bêtes qui ne fuient pas en te tournant le dos, qui lutteront au contraire en offrant leur poitrine, évite-les de peur que ta vaillance ne nous soit fatale à tous les deux.

OOOOO

Un jour que Vénus fait atteler ses cygnes et prend la voie des airs, elle prévient une nouvelle fois son amant contre les dents redoutables des animaux sauvages.

Adonis ne l’écoute pas, préférant traquer un sanglier solitaire que ses chiens ont débusqué. Il rattrape la bête et la blesse de son épieu. Mais l’animal réussit à secouer l’arme de son flanc, se précipite sur son chasseur, lui plonge de toute leur longueur ses défenses dans l’aine, le blessant à mort.

Venus, qui est loin déjà de cette chasse, entend néanmoins les plaintes de son Adonis agonisant. Elle dirige vers lui le vol de ses oiseaux blancs. Elle descend et découvre le malheureux, glacé, qui nage dans les flots de son sang. Elle déchire ses voiles, s’arrache les cheveux, meurtrit les beaux appâts de son corps. Elle pleure son amour qui s’en va. Elle jure qu’Adonis connaîtra l’immortalité parce qu’elle lui élèvera des monuments, parce qu’elle organisera chaque année, en sa mémoire, des fêtes funèbres, signes de l’amour d’une déesse, symboles de regrets immortels.

La mort d'Adonis de Jean-Faur Courège (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux)

Elle promet enfin que du sang d’Adonis naîtra une fleur délicate, rouge comme la grenade. Elle dit, et sa main verse un baume parfumé sur le sang qui sourd encore des blessures du plus beau garçon de la terre. En peu de temps, la fleur éclot. Un instant seulement durera son éclat... Trop frêles, trop légers, ses pétales tombent déjà, secoués par les vents qui lui donnent son nom. Anémone.

Antoine Mack

Le deuil de la déesse amoureuse

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