On n’enterre jamais personne le premier mai
Je n’ai pas de muguet à vous offrir. Juste deux ou trois roses. Qui ne sont pas à moi.
Comme souvent, je marchais, ce matin, le long du cimetière. Au bord du trottoir, toutes les places de parking étaient vides. Il est vrai que l’on n’enterre jamais personne le premier mai.
Une petite voiture grise, sale, rouillée, s’est arrêtée près du portail métallique, devant moi. Une portière a émis une plainte criarde.
L’homme qui est descendu de l’automobile était grand. Son pantalon gris tirebouchonnait. De ses épaules étrécies tombait une veste brune et difforme qui flottait autour de son torse amaigri, telle un pavillon vaincu. Clope aux lèvres, comme ceux qui fument sans les mains, en se brûlant les yeux.
Comme ceux qui marchent encore, juste pour marcher, sur les trottoirs de nos rues, il m’a gratifié d’un signe de tête, bonjour automatique aux inconnus dont on sent qu’ils pourraient appartenir à notre caste de parias bientôt mortels.
Lovées au creux de son bras, trois roses écarlates nouées dans un écrin de papier cristal avec une faveur rouge, elle aussi.
Il est entré dans le cimetière, par la petite porte. Je l’ai suivi, machinalement, à quelques pas de distance. Devant le mur des casiers qui contiennent les urnes – grille du loto hasardeux des morts – il s’est arrêté. Sa tête s’est tournée vers moi, brièvement, et j’ai poursuivi mon chemin vers une autre allée, une autre grille.
La personne à qui il venait porter les roses avait tiré une case au beau milieu de la loterie. Il a jeté sa cigarette et s’est mis à sa tâche.
Survivre. Tous les dimanches, tous les jours de fête, revenir. Accrocher quelques fleurs à une aspérité du casier. Ramasser le bouquet fané de la semaine passée. Allumer une nouvelle cigarette... Repartir.
Antoine Mack