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Airs de flûte
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16 novembre 2010

Etrangers au château – 8. Rocky, le retour


1956_budapest

Il n’était pas beau à voir quand il est revenu, Rocky.

Discrètement, il s’était faufilé dans la chambre de Pourtalès qu’il avait partagée avec Janos et où l’attendaient toujours son électrophone et ses disques. Il s’est assis sur le lit, puis il est resté silencieux, longtemps, m’a dit Janos quand il est venu frapper à ma porte. J’habitais juste en face, de l’autre côté du couloir.

Non, il n’était pas beau à voir. Pommette gauche violacée, une longue estafilade (huit points de suture) lui barrant le front, résultat probable d’un coup de couteau, des bleus au menton qui se cumulaient avec d’autres couleurs... Il sortait, c’était sûr, d’une correction sévère... ou alors de la lourde sphère d’un camion-bétonneuse.

- Mais enfin, réponds! dit Janos. Qui t’a fait ça?

- Les frères...

- Quels frères?

- Ceux de ta copine de l’hôpital, ceux de la maman? demandai-je.

Il approuva d’un hochement de tête. Le silence dura encore quelques secondes, puis les vannes s’ouvrirent...

Ils devaient se marier. La famille de la jeune mère avait exigé qu’il vienne vivre avec elle, chez eux, et qu’il trouve du travail. Il avait fait des efforts, avait cherché à Strasbourg, à Haguenau, à Bischwiller. Sans succès. Personne ne voulait de ce Hongrois qui n’avait aucune formation... et serait, peut-être bien, source de problèmes. Avec un réfugié politique, allez donc savoir!

A la fin, les choses avaient tourné au vinaigre. Les frères de sa compagne étaient sur son dos, tout le temps. Il s’était énervé, un jour. Ils l’avaient battu, une première fois.

Et puis là, il y avait deux jours, il avait cru qu’ils voulaient sa peau. Coup de poing américain, couteau, nerf de bœuf... Le sang coulant dans ses yeux, sur son visage, dans son cou, ils l’avaient jeté sur un trottoir, près d’une clinique, en lui conseillant de ne jamais plus se montrer.


OOOOO


Janos a posé un disque sur la platine, a réglé le son en sourdine. Nous étions assis au bord de son lit, face à Rocky, muets.

Il s’est remis à parler.

-  Je suis un raté. Je l’ai toujours été... et un menteur.

C’était difficile à comprendre, difficile à suivre surtout. Tout à coup, il nous parlait de Budapest. Là-bas, en 1956. Juste avant la venue des Russes, en novembre, il était en prison. Condamné pour un vol dans la maison des voisins. Ce n’était pas la première fois. A seize ans déjà, il s’était fait prendre. Au moment de l’insurrection, sa prison s’était ouverte... et il avait fui, dans la campagne, vers l’Autriche.

Il n’avait pas connu de belles aventures face aux Russes dans les rues de Budapest. Il n’en avait même pas vu un seul! Il n’avait jamais risqué sa vie devant les chars soviétiques. Il s’était taillé, à toute la vitesse de ses jambes de vingt ans. Comme un voleur.

Et voilà... Rocky, après avoir perdu sa belle infirmière et sa petite fille, venait aussi de tomber de son piédestal. Il était assis là, devant nous, et regardait fixement un accroc sur le lino, juste devant ses pieds.

J’ai jeté un coup d’œil à Janos. Comme moi, il était un peu sonné. Mais c’est lui qui a touché le genou de Rocky.

- Tu ne diras rien de tout ça à personne, ici. Ça doit rester entre nous. Tu ne diras rien, tu m’entends?

Il a ajouté quelques mots en hongrois. Rocky a levé la tête. Il a dit oui. Puis il s’est allongé sur le lit, face à la cloison. 

J’ai changé le disque. B.B. (blues boy) King, peut-être Thrill_is_gone.

M’en souviens plus... Et nous sommes sortis, Janos et moi.

Chacun ses secrets.


(A suivre)

Antoine Mack


 

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Commentaires
O
Je n'ai rien caché, chère clandestine. Nous ignorions tout de cette famille un peu spéciale jusqu'au retour de Rocky. Mais j'avais déjà laissé entendre que tout n'allait pas pour le mieux de ce côté-là.<br /> <br /> Pour la femme et l'enfant, je pense qu'elles seront restées à Haguenau, dans la famille sourcilleuse...
C
Ben voilà ce qu'on risque à faire des hypothèses… Mais aussi, Tony, tu avais soigneusement dissimulé l'existence de ces frères si sourcilleux.<br /> Bravo pour le talent avec lequel tu fais un héros de ce fanfaron rattrapé par la réalité… <br /> Et la femme et l'enfant, dans tout ça ?
O
Non, non, chère belle lurette, rien à voir avec le film de Robert Dhéry! Sur l'américaine, aujourd'hui, je serai muet comme un tombeau hindou.
B
Comme tu as écrit "américaine" sans A cap, je veux dire sans majuscule (et que je te connais)... je devine déjà qu'il s'agira de belle mécanique, décapotable ou non, et non d'une simple originaire des States! <br /> Je me trompe ? Avec Annette Poivre, même ?
O
La prochaine fois, chère belle lurette, nous irons jeter un coup d'œil sous les jupes de la belle américaine et, peut-être même, d'autres beautés... Préparez-vous à du "hot", Mesdames!
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