Petit précis de bonne politique d’urbanisme

Lahore

Le maire: Le point n° 37 de l’ordre du jour de ce conseil appelle l’attribution de noms aux cinq rues du nouveau lotissement situé le long de la rivière D. Il s’agit d’un ensemble d’une cinquantaine d’immeubles à caractère social que la loi nous oblige à construire sur le territoire de la commune. Ce sont en fait des maisons individuelles érigées sur des terrains de trois ares qui permettent l’aménagement, à l’arrière, soit d’un jardinet potager, soit d’un minuscule espace d’agrément.

Le Directeur du Service d’aménagement de l’espace urbain: Les noms proposés par notre service sont les suivants: rue de Lahore, rue de Damas...

Un conseiller (de l’opposition municipale): Pourquoi donc Lahore? et pourquoi Damas?

Le Maire: Monsieur le conseiller d’opposition, veuillez ne pas interrompre, s’il vous plaît, la présentation de Monsieur le Directeur du Service d’aménagement de l’espace urbain.

Un autre conseiller (de la majorité municipale): C’est vrai, ça! Il est déjà minuit moins dix et il reste encore dix autres points à discuter. Il serait temps d’en finir au lieu de produire à longueur de temps des interventions oiseuses...

La discussion s’arrête là. Le Directeur du Service termine son exposé. On vote. A une large majorité (les voix de la majorité municipale, les autres s’abstenant), les cinq noms de rues sont attribués.

OOOOO

Flash-back.

Quelques jours plus tôt s’est tenue une réunion des cadres du Service de l’aménagement de l'espace urbain.

Le Directeur: Je vous propose de trouver, sans trop perdre de temps là-dessus, cinq noms pour les rues du nouveau lotissement des bords du ruisseau. Pas de noms d’oiseaux, on a déjà des sitelles, des cigognes, des piverts et des hirondelles dans un autre quartier. Pas les noms de patelins voisins non plus. Ni ceux d’hommes ou de femmes illustres du coin, nous les avons déjà épuisés.

Premier cadre (par ordre hiérarchique, sous le Directeur): Pourquoi pas des noms de mammifères? Le grand hamster d’Alsace pourrait en faire partie... avant de disparaître.

Deuxième cadre: Ou bien des titres de contes de fées?

Le Directeur: Vous savez bien que c’est déjà pris, à W.heim. Je trouve d’ailleurs que ça fait un peu cucul. Rue du Prince Charmant, rue des Sept Nains... non merci. Bon! On arrête. Ecrivez chacun sur un bout de papier le nom du lieu de vos dernières vacances.

Quelques secondes plus tard, la liste est prête. Lahore, Damas, Bombay, Glasgow, Tokyo. Cinq noms de grandes villes lointaines pour cinq petites rues parfaitement jumelles, malheureusement  pour elles.

Rue de Bombay

Parfait, s’exclame le Directeur du Service d’aménagement de l’espace urbain. Pour les gens qui habiteront là-bas et qui n’iront jamais nulle part, c’est l’idéal. Avec le seul nom de leurs rues, dépaysement garanti toute l’année... à domicile !

Antoine Mack

Comments

[oiseleur]

J'approuve, chère clandestine. Je passais, hier matin, dans une rue qui s'appelle aujourd'hui la rue des Franciscains. Je vous raconterai bientôt ce qui s'y passe.

Cette rue, au Moyen-Âge, abritait un couvent de ces moines. A cette époque lointaine, son nom se disait en allemand Barfüeslergasse: parce que les moines franciscains allaient pieds nus dans leurs sandales, les braves gens de ma ville l'avaient appelée ainsi, rue des va-nus-pieds. C'était bien plus poétique...

On peut voyager loin, les pieds nus!

[clandestine]

Chère Tink, les noms de rues poétiques, comme la repentance – oui, oui,c'est poétique, et bien mieux que rue du général Salan, comme ça commence à être à la mode dans la région où tu vis (voir quelques notes et liens dans les trois derniers billets que je viens de mettre en ligne sur Mdpt (pardonne-moi cette auto-pub, cher Tony) – ont souvent, derrière l'empilement des années, une longue histoire. Une faute commise, c'est sûr, et le châtiment, qui fut l'obligation de vivre en ermite dans cet endroit autrefois retiré.
J'ai longtemps habité une rue de la Justice, et je m'en réjouissais, quelle belle adresse, n'est-ce pas ?, jusqu'au jour où j'appris que les routes ou les chemins de la justice sont ceux qui, autrefois, menaient aux gibets !
Aujourd'hui, tout près de ma rue dont je tairai le nom, il y a une rue avec un nom encore plus terrible. J'ai failli l'écrire et puis… prudence… je me suis rappelé qu'il ne fallait pas que, clandestine, je laisse des indices permettant de me retrouver.
Les noms des rues font voyager, il a bien raison, ce directeur du service d'aménagement de l'espace urbain. Il aurait pu penser à mettre en plus un décor mural adapté aux noms des rues : le mot, l'image, quoi de mieux pour voyager ?
Amitiés à toutes et tous.

[oiseleur]

Alors, chère Tink, il faut vous rendre à la Mairie et enquêter sérieusement sur les faits qui ont amené les gens du Service d'aménagement de votre espace urbain à une telle aberration. Nous en apprendrons de belles, je suis sûr! Christel sera deux fois morte de rire.

[Tink]

Pardon pour le doublon, cher Oiseleur.
Merci pour vos jolis songes. Toute fois ça ne peut être ça. Pour aller a la mer il y a juste un faux plat. Point de grimpette pour se repentir. A moins de remplir les sacoches jusqu'en haut de galets de la plage.

[Tink]

Nous voilà avec une illusion en moins, l' oiseleur. Les noms des rues de nos jours n'appellent plus au rêve. J'habite une voie appelée de Repentance...qui raconte l'histoire?