Les rustres
Région côtière du sud de l’Asie mineure, la Lycie est connue pour avoir subi les ravages de la Chimère. Ce monstre à trois têtes (une de lion, une autre de chèvre et la troisième de dragon, cette dernière se dressant au bout de la queue) a été tué par Bellérophon, aidé par son cheval ailé, Pégase. Le pays avait mauvaise réputation, au temps d’Ovide, à cause de rustres qui persécutèrent Latone, la mère de Diane et d’Apollon.
OOOOO
Jupiter avait séduit Latone, qui descendait des Titans, et provoqué, une fois encore, la colère de Junon.
L’épouse intraitable du Père des dieux s’en prit à sa rivale et la bannit du monde. Pour accoucher de ses divins jumeaux, la pauvre Latone ne trouva pour refuge que Délos, une île errante comme elle, qui flottait alors entre les mers... A peine nés les enfants, Latone doit fuir Délos, toujours poursuivie par la haine de Junon. Elle échoue, un peu plus tard, en Lycie.
Un jour que le soleil lance sur les campagnes ses feux dévorants, Latone qui meurt de soif et de fatigue trouve, dans le creux d’un vallon, une source d’eau pure. Elle va pour s’y désaltérer et faire boire ses enfants. Mais des bergers, qui coupent alentour des roseaux, des joncs et des herbes qui aiment à pousser aux bords des étangs, lui interdisent d'aller boire.
«Pourquoi me défendez-vous ces eaux, gémit la déesse. L’eau appartient à tout le monde, comme l’air et la lumière. Je ne désire qu’apaiser ma soif et j’implore de vous, comme un bienfait, que vous m’accordiez l’accès à la source».
Ses prières sont vaines. Les pâtres grossiers la repoussent, ajoutant la menace à l’injure. Leur comportement s’aggrave lorsqu’ils sautent à pieds joints dans le petit lac où se jette la source. Ils en troublent l’onde, faisant remonter le limon épais qui reposait au fond.
Alors la colère de Latone lui fait oublier sa soif. Elle lève les yeux au ciel et maudit les bergers : « Vivez donc pour l'éternité dans la boue!» Ses vœux s’accomplissent sans tarder.
Ils plongent dans les eaux, disparaissent au fond, reviennent nager à la surface, s’élancent vers le rivage et replongent, en continuant d’insulter Latone. Mais déjà, nous dit Ovide, leur voix devient rauque, leurs bouches s’élargissent sous l’injure, leur cous s’étrécissent. Leur dos verdit, leur ventre devient blanc...
Changés en grenouilles, ils vivront désormais et pour toujours, croassant leurs injures grossières, dans la fange des marais.
Antoine Mack