Donne à chacun...
Poète autrichien né à Prague en 1875, mort à Montreux (Suisse) en 1926, Rainer Maria Rilke fait partie des géants de la littérature universelle. La plus grande partie de son œuvre a été écrite en allemand. On connaît moins bien la partie française de sa production. Ce n'est qu'en 1926, l'année de sa mort, qu'il donna Vergers et Quatrains Valaisans. Et il fallut attendre 1944 pour découvrir ses Poèmes français. Dans notre langue aussi parurent en 1985 et 1998, les Lettres à une amie vénitienne et les Lettres à une musicienne.
Seigneur, donne à chacun la mort qui est la sienne. La mort qui procède de la vie dans laquelle il a trouvé amour, sens et peine. Car nous ne sommes que la pelure et la feuille. La grande mort, que chacun porte en lui, voilà le fruit autour de quoi tout s’ordonne.
(Traduit de l'allemand)
Verger I
Peut-être que si j'ai osé t'écrire,
langue prêtée, c'était pour employer
ce nom rustique dont l'unique empire
me tourmentait depuis toujours : Verger.
Pauvre poète qui doit élire
pour dire tout ce que ce nom comprend,
un à peu près trop vague qui chavire,
ou pire : la clôture qui défend.
Verger : ô privilège d'une lyre
de pouvoir te nommer simplement ;
nom sans pareil qui les abeilles attire,
nom qui respire et attend...
Nom clair qui cache le printemps antique,
tout aussi plein que transparent,
et qui dans ses syllabes symétriques
redouble tout et devient abondant.