Tirésias et la querelle amoureuse
François Chauveau (1613 - 1676) Tirésias aveuglé
Jupiter et Junon (voyez cela, tout arrive!) étaient d’humeur badine, ce matin-là. A cette bonne nouvelle, par-dessus la terre entière, le ciel se fait blason: soleil d’or sur champ d’azur.
S’étant éloignés vers le sommet de l’Olympe, à l’orée d’un bois, tout près d’une source fraîche, le maître des dieux et son épouse devisent plaisamment après une joute qui les a laissés fort satisfaits et un peu alanguis, l’un et l’autre. Une évidence, dira-t-on, car si les dieux ne savaient pas...
Ils parlent, détendus, de la chose amoureuse. Jupiter affirme que, dans ces jeux, les femmes éprouvent plus intense et plus long plaisir que les hommes. Junon, bien entendu, est d’un avis contraire. «Si ton plaisir n’était pas plus grand, pourquoi donc passerais-tu tout ton temps, dit-elle, à poursuivre, à duper, à violer tes petites nixes et tes nymphettes?» Jupiter, qui sait sa jalousie et la sent prête à bouillir de nouveau, propose une trêve et un arbitrage.
«Faisons venir Tirésias et demandons son concours. Car s’il en est un qui s’y connaît, c’est bien lui!»
OOOOO
Tirésias en effet, par une aventure singulière qui lui était advenue, s’était vu transformer en femme pendant sept années entières.
Un jour qu’il se promenait dans la campagne de Thèbes, il avait découvert au bord d’un chemin deux serpents qui s’enroulaient l’un sur l’autre, qui se livraient au soleil à l’amoureux combat. Pourquoi le promeneur donna-t-il alors un coup de son bâton au couple d’ophidiens? Nul ne le sut jamais. Mais à l’instant même où le bâton frappa, Tirésias devint femme!
Au bout des sept années, alors qu’elle se promenait sur le même chemin, Tirésias retrouva les mêmes serpents (ou deux très ressemblants) occupés à la même affaire. Elle frappa de nouveau et ce qu’elle espérait arriva, elle redevint l’homme qu’elle avait été.
Au cours des années de métamorphose subie, elle ne s’était certes pas réfugiée dans une tour d’ivoire et ne voulant pas se contenter de l’usage de substituts doux et lisses au toucher, même de matières et de couleurs chryséléphantines, elle avait pris quelques amants...
OOOOO
Tirésias, à n’en pas douter, possède donc une double expérience qui doit lui permettre d’arbitrer le différend qui oppose Jupiter et Junon.
Il arrive. On le met au courant de la dispute. Il eût été sage de sa part de répondre à la question des dieux que les plaisirs ressentis par les femmes et les hommes se valent. Mais, oubliant le caractère vindicatif de Junon et voulant complaire au père des dieux, il donne raison à Jupiter.
Comme d’habitude, Junon se sent trahie! Furieuse, elle rend aveugle celui qui vient de lui donner tort. Jupiter, qui tient Tirésias en haute estime, est navré d’une issue si fatale pour une si légère querelle. Mais un dieu, fût-il le plus grand de tous, ne doit pas défaire ce qu’un autre dieu a fait... Ne pouvant lui rendre la vue, il s’adresse à Tirésias et lui dit: «Ami, tes yeux ne verront plus ce qui se passe au présent. Mais derrière tes paupières closes, pour tous ceux qui te le demanderont, tu pourras regarder l’avenir. Va, redescends sur terre. Tu y seras le plus grand des devins».
Tirésias s’en va, pressentant que ce don nouveau lui vaudra des louanges, mais également des soucis. Quant à Jupiter, oublieux déjà de la dispute, il se retourne vers Junon dans l’intention de reprendre là où ils l’avaient abandonnée leur passe d’armes amoureuse.
Mais holà! Ovide, ici, n’en dit pas plus...
Jolies jouvencelles, jalouses Junons, il vous laisse imaginer... Jupiters jubilants, juvéniles jouteurs, il vous laisse rêver... surtout si vous lisez, à deux, son Art d’aimer.
Antoine Mack