Mercure, ce voleur...
Jamais Ovide ne se permet de critiquer ouvertement toute la population olympienne qu’il décrit dans les Métamorphoses. Il les craignait quand même un peu, ses dieux et ses demi-dieux, même s’il nous raconte toutes leurs frasques. Et pourtant! il y aurait à dire... de leurs lubies, de leurs tours pendables, de leur manque de sérieux dans l’accomplissement de leur boulot de dieux!
OOOOO
Tenez ! Prenez Apollon, encore une fois. Tout jeune encore, et bien avant de séduire Clymène, la mère du pauvre Phaéton, il s’entichait déjà de toutes les nymphettes qui croisaient sa route...
Pour les beaux yeux de l’une d’elles, un jour il se fait berger, vêtu de peaux de bêtes. Conter fleurette, moduler de tendres sonorités sur votre flûte de Pan, voilà qui vous amène à négliger la surveillance du troupeau.
Mais avant de poursuivre, posons-nous une question. Que fait-il là, godelureau énamouré, mauvais berger de bœufs et de vaches? Qui donc, pendant qu’il batifole, conduit à sa place les chevaux du soleil? Hein, Ovide! Qui? Tu peux nous le dire?
Mais refermons la parenthèse, alors que lui n’a pas fermé sa barrière. Les taureaux et les vaches, que suivent les bœufs, s’évadent dans la plaine de Pylos. Passant par là, Mercure, dieu encore jeune mais déjà voleur, les aperçoit et les conduit - ni une, ni deux - dans un bois, à l’abri, croit-il, de tout regard curieux.
Las! Il déchante vite et constate l’existence d’un témoin. Un autre gardien d’animaux (Battus est son nom), qui veille sur les chevaux de Nélée, le roi de Pylos, et les prépare pour les courses des Jeux éléens, a assisté au larcin du fils de Maia. Ce dernier s’approche, en séduisant jeune homme: « Ami, qui que tu sois, si par hasard quelqu’un t’interroge sur ce troupeau, dis-lui que tu ne l’as point vu. D'accord? Pour récompenser ton silence, je te donne une blanche et saine génisse». Battus accepte le marché et jure, en montrant sur le chemin un jaspe noir, très belle pierre: « Soyez tranquille. Cette pierre plus tôt que moi trahirait votre vol».
Mercure s’en va. Mais comme il se connaît soi-même (Quelqu’un d’autre aurait dit cela? Vous croyez?), il connaît les hommes. Se déguisant il revient, ayant changé de figure et de voix. Et il dit à Battus: «Compagnon, n’as-tu pas vu mon troupeau aller vers ce bois, là-bas? On me l’a volé. Si tu me permets de le retrouver, je t’offre un taureau».
Battus déjà imagine l’affaire: une génisse d’un côté, de l’autre un taureau, bientôt un bel élevage... (Quelqu’un d’autre aussi... à propos d’un pot de lait?). Il trahit son serment. Sur le champ Mercure le change en pierre sur le chemin!
OOOOO
Cette pierre de jaspe noir - facétie de Mercure, dieu des voleurs et dieu des commerçants - vous permettra de déceler si votre bijoutier vous estampe. Elle est la pierre de touche. On y frotte l’or ou l’argent pour en déterminer le titre, grâce aux empreintes qu’y laissent ces métaux. Car ces empreintes, ensuite, on les compare à de petites plaques, calibrées, d’alliage d’or ou d’argent, disposées en étoile sur le touchau, bel outil.
Antoine Mack