La poule d'Inde et le petit jardinier (conte de Noël)
Il était une fois, en Alsace, un petit jardinier qui faisait mûrir dans son verger des cerises écarlates, des coings jaune d’or, des poires juteuses, des pommes aux joues rouges. Il faisait pousser aussi, dans son potager, toutes sortes de légumes, mais surtout du chou quintal de Strasbourg, le meilleur pour la choucroute.
Il vivait seul, avec une dinde, oiseau de basse-cour assez étrange que l’on appelait alors poule d’Inde. Celle-là n’avait d’autre compagnon que lui.
Comme Noël approchait, notre jeune ami se rendit dans les Vosges pour y couper un sapin qu’il décorerait pour la fête. Il vivait en effet au bord de l’Ill, près de Sélestat, à l’endroit où naquit, bien des temps auparavant, la belle tradition du sapin de Noël. Ce sapin, au début, était orné des pommes de l’automne, ces pommes aux joues rouges comme en récoltait le petit jardinier.
Quand il redescendit de la montagne, son sapin sur l’épaule, au coin d’un bois il tomba nez à nez avec une vieille femme.
- Bonjour, jardinier, lui dit-elle.
- Bonjour, gente aïeule, répondit-il. Comment donc savez-vous que je suis jardinier ?
- Je sais beaucoup de choses, jeune homme ! Je sais, par exemple, que ta poule d’Inde, chez toi, aime assez le clinquant et qu’elle adorera sur ton sapin les boules que je te donne là pour l’embellir.
Elle lui tendit des boules faites d’une matière qu’il n’avait jamais vue, brillantes comme du verre, rouges, vertes, bleues, dorées.
- Prends-les, dit-elle, et accroche-les à ton sapin. Montre-les à ta poule d’Inde. Mais, quoi qu’elle fasse, continue d’être bon avec elle. Adieu, jardinier.
OOOOO
Le petit jardinier rentra chez lui après deux longues journées de marche. Il dressa le sapin dans sa chaumière et le décora avec les boules données par la vieille femme. La veille de Noël, juste avant la fin du jour, il fit entrer la poule d’Inde pour qu’elle voie le sapin. Le volatile pencha la tête sur le côté, se promena autour de l’arbre et gloussa. Puis s’immobilisa, comme hypnotisé par les fragments de lumière colorée que les boules lui envoyaient dans les yeux. Le petit jardinier sourit et, comme il avait encore quelques préparatifs en cours, il sortit pour finir ses travaux avant la nuit.
Lorsqu’il revint, la poule d’Inde quittait la maison. Elle marchait comme si elle était ivre. Un brin de sapin dépassait, au bord de son bec. Le jardinier entra et quand il vit le sapin, une fureur violente le prit.
- Ah ! La maudite bestiole ! Attends que je t’attrape et tu passeras à la casserole avant la fin de la nuit !
La poule d’Inde avait avalé toutes les boules de couleur de la vieille femme ! Maintenant elle était partie se dissimuler dans un coin d’où il ne pourrait pas la débusquer. Finalement, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le jardinier décida de revenir à la tradition. Il choisit sur ses clayettes les plus belles pommes qui lui restaient et les fixa aux branches dénudées du sapin. Il fut alors tellement content du résultat qu’il décida tout de suite d’accorder son pardon à sa poule d’Inde.
Ainsi passèrent-ils, tous les deux, un joyeux Noël.
OOOOO
Mais mon histoire ne s’arrête pas là, ce ne serait pas un conte. Cette dinde était bonne pondeuse et... cachottière. Tous les œufs qu’elle pondit au cours de l’hiver, elle les cacha dans le jardin potager, les couvrant même de terre pour que le petit jardinier ne les trouve pas...
Quand revint le printemps, et avec lui l’heure de reprendre le travail, le petit jardinier sortit ses outils. Au premier coup de bêche, il heurta un objet dur. Il voulut pester contre toutes ces pierres qui remontaient chaque année dans sa terre. Mais il resta coi lorsqu’il découvrit que l’objet brillait au soleil. Tout au long de la journée, il trouva dans son potager des pépites d’or, des saphirs, des émeraudes, des rubis...
OOOOO
L’histoire pourrait s’arrêter là, cette fois. Ce serait un conte. Mais la vie est bien cruelle parfois. A peine fut-il devenu riche, notre petit jardinier mourut, emporté subitement par une maladie inconnue. Ses ayants droit, gens cruels, mangèrent la poule d’Inde le jour de son enterrement!
De ces vilains-là, lointains et maudits cousins, j’ai hérité le verger et le potager. Moi qui essaye d’être bon avec les animaux et les gens qui m’entourent, et pas seulement en décembre, j’attache des pommes à mon sapin de Noël et, dès que revient le printemps, je vais au jardin, où je creuse, je retourne, je bêche...
Antoine Mack