Le cormoran
Le « grand corbeau marin » a essaimé depuis longtemps des plages marines et des estuaires vers les fleuves et les plans d’eau qui se trouvent à des centaines de kilomètres à l’intérieur des terres.
Au bord du « vieux Rhin » qui ne charrie plus – gros ruisseau – que les eaux que veulent bien lui abandonner les hommes du Grand Canal d’Alsace, appuyé à un arbre mort, le pêcheur à la ligne observe l’oiseau sombre et le regarde pêcher, en le maudissant.
Le cormoran nage à contre-courant. Seul son cou arrondi est visible au-dessus de la surface de l’eau. Il plonge soudain, donne l’impression d’avoir disparu... Se fait attendre longuement, ressurgit enfin avec le poisson qu’il avale, bec levé vers le ciel, cou tendu cette fois.
Son plumage est perméable, contrairement à celui d’autres oiseaux aquatiques. Il emporte moins d’air sous l’eau. Plus lourd pour plonger, il consomme de la sorte moins d’énergie et sa chasse subaquatique y gagne en durée.
Ressorti, repu, on le voit perché maintenant sur un tronc tordu qui se meurt dans le courant. Il écarte largement ses ailes. Il les fait sécher, dit-on. Mais c’est faux. L’eau s’écoule de sa plume aussi vite qu’elle y est venue. Le cormoran offre son jabot au soleil pour que l’astre réchauffe le repas qu’il vient d’ingurgiter et facilite ainsi sa digestion. Mais il n’en sait rien, bien sûr.
Quand l’homme, bredouille, dépité, replie son attirail de pêche et s’éloigne, le grand crucifié noir se dresse, un peu plus raide sur son perchoir, et se dit fièrement, in petto : « Pas de doute ! Je suis vraiment un épouvantail ».
Antoine Mack